Bilan et projet du Groupe de Recherches ‘Mobilités et frontières : discours, pratiques et approches’

Présentation actualisée du groupe de recherche, printemps 2023, pour le prochain contrat quinquennal.

Coordination : F. Boyer (IRD Paris), F. Lestage (UPD), S. Potot (CNRS Nice)

Objectifs initiaux du GR :

Ce groupe de recherches se proposait d’interroger la complexification croissante des modèles de migration que l’on retrouve actuellement tant au Nord qu’au Sud. Il s’agissait d’une part de réfléchir à l’imposition, la mise en œuvre et l’articulation de différents régimes de contraintes via des politiques d’expulsion et de rapatriement par les acteurs locaux, nationaux ou supranationaux, ce que nous avions qualifié de « gouvernance internationale des migrations ».

Il s’agissait d’autre part, de mesurer à quoi conduisent ces logiques à l’échelle des individus dont les trajectoires migratoires paraissent de plus en plus segmentées, parfois bloquées, les migrants s’installant même dans des lieux inédits et très différents de leur projet initial. L’hypothèse centrale était que ces logiques politiques contemporaines remettent en cause les situations de transit, ces temps d’attente aux frontières, et que les migrants sont de plus en plus amenés à s’inscrire dans des processus de renoncement à la mobilité, qui participent à la construction d’un effet de frontière non pas réduit à une ligne, mais inscrit dans des espaces de plus en plus vastes (le Mexique, le Sahel, la Méditerranée…). Bref, il s’agissait d’analyser les processus migratoires contemporains en fonction des expériences multiples de mobilité, tout en portant une attention particulière aux contextes politiques locaux, nationaux et supranationaux. Comment cette gouvernance internationale des migrations s’exprime-t-elle à l’échelle des politiques locales, nationales, mais aussi supranationales ? Comment ces différentes instances de mises en œuvre des politiques que sont l’Etat, voire les entités décentralisées dans certains cas, les instances supranationales (Union européenne, CEDEAO…) s’articulent-elles pour définir différents régimes de contraintes, dont les conséquences se lisent à l’échelle des individus et de leur expérience migratoire ?

Une autre dimension du politique est celle touchant aux acteurs du développement et/ou de l’humanitaire, qui adoptent une position de plus en plus ambiguë vis-à-vis de ces politiques migratoires. Si la question d’un opportunisme de ces acteurs autour de la question migratoire face aux bailleurs se pose, n’assiste-t-on pas à la mise en place d’un processus plus structurel qui articule le développement, la migration et la sécurité, au Nord comme au Sud ? Ladite « externalisation » n’est-elle pas co-construite par l’ensemble des acteurs ? Par exemple, si les politiques de retour peuvent apparaître comme un fil rouge des politiques migratoires depuis la fin des années 70, en quoi les catégories actuelles de « retour volontaire », de « relocalisation », de « rapatriement » obligent-elles à poursuivre la réflexion dans un contexte de globalisation de ces politiques ? Ces contextes politiques jouent dans le sens d’une facilitation ou d’une complexification des pratiques, des représentations et des systèmes de circulation, qu’ils contribuent à produire.

Au niveau individuel, les expériences migratoires devaient être envisagées à différentes échelles spatiales et temporelles, et une attention particulière portée aux expériences du blocage, du revirement, plus largement du retour. L’hypothèse était que les phénomènes de retour ou de relocalisation ne sont pas uniquement portés par les politiques, mais constituent aussi l’une de leurs conséquences ; les situations de blocage pouvant amener les individus à s’inscrire dans un processus de renoncement à la mobilité. Dans ce cadre, il s’agissait de questionner la notion de ressource entendue à la fois comme ressource pour migrer (dans un sens classique de savoir et de pouvoir-faire des migrants), mais aussi comme ressource pour changer de route, repartir en arrière, se relocaliser, s’installer… Quelles ressources mobilisent les migrants lors de ces expériences de blocage ou de relocalisation ?  Au-delà de la question de la mobilisation de telle ou telle ressource, la réflexion se portait sur les mécanismes de production, de construction de ce qui fait et devient ressource au fil des trajectoires migratoires. Selon quelles échelles temporelles notamment se construit la ressource ? Dans un ici et maintenant de la route ? Ou dans des interactions qui se jouent sur des temporalités et des distances plus longues ?

La dimension du blocage, comme celle de l’installation dans des lieux inédits pour les migrants pose la question de l’incertitude et de la façon dont elle se gère aux échelles individuelles et sociales. L’objectif était de penser cette notion d’incertitude d’un point de vue sociologique et anthropologique, et non d’un point de vue économétrique, comme c’est souvent le cas dans la littérature scientifique. La compréhension de l’incertitude du parcours migratoires se construit en lien avec l’analyse des expériences individuelles dans leur globalité. Le contexte politique contemporain amène-t-il à une redéfinition du champ de l’incertitude, de la façon dont elle se construit et s’exprime ? Les situations de blocage ou d’installation questionnent également la dimension identitaire du point de vue des migrants. L’objectif était d’explorer les identités ambiguës des migrants dans ces situations de blocage ou dans ce processus de renoncement à la mobilité.

Ces objectifs et les questions qui les accompagnaient ont été interrogées dans les activités suivantes qui se sont articulées autour de plusieurs formules et types d’évènements :

  • un séminaire trimestriel (durée du quinquennal) interne en visioconférence, permettant de discuter des notions ou des thématiques telles les circulations, l’héritage migratoire, les border studies, environnement et migration, etc… à partir des travaux des membres du groupe et de chercheurs extérieurs au groupe de recherche.
  • Un texte rédigé en commun entre tous les membres du GR intitulé « Pouvoir et appartenances autour des catégories de désignation et d’autodésignation » (2020)
  • Un colloque international (Nice, 21-24 juin 2021), en collaboration avec l’Institut Convergence Migrations, et le CESSMA, intitulé « Tri migratoire et expériences du blocage : Afrique, Amérique, Europe »
  • des demi-journées d’étude thématique (2022) visant notamment à mettre en regard différentes situations migratoires (du Mexique au Sahel ou du Brésil à la Méditerranée), en invitant des chercheuses et chercheurs extérieurs au groupe de recherche sur deux thématiques :  les solidarités ; les postures du chercheur.
  • la coordination d’ouvrages collectifs :
    • « Routes et pauses des parcours migratoires : Afrique-Amérique », ouvrage collectif bilingue publié en français et espagnol en 2018
    • Un ouvrage en cours de traduction, à paraître en français et anglais en 2023-2024, reprenant les thèmes du colloque de 2021, soit tri migratoire, blocage et expériences qu’en font les migrants en Afrique, Amérique et Europe.

Projet  futur quinquennal

Après plusieurs années de travail en commun, sont apparues deux nouvelles grandes questions pour le prochain quinquennal, et un nouveau positionnement épistémologique du groupe de recherche.

  • La thématique de l’environnement et des migrations. Comment faire intervenir les sciences sociales dans le débat ? Doit-on faire le lien entre mécanismes environnementaux et mécanismes migratoires ? Et dans ce cas comment dialoguer avec les sciences du vivant et de la terre ? La migration doit-elle être vue encore aujourd’hui comme une adaptation à des contextes de contrainte que ce soit des changements sociaux ou environnementaux ?
  • Celle des solidarités, déjà entamée en 2022, mais en ouvrant à la question de la voix des migrants, et plus globalement à la problématique des « acteurs faibles », qui sont habituellement « parlés » par d’autres (les solidaires, les chercheurs). Alors qu’apparaissent des podcasts supposés restituer la parole des migrants, des pièces de théâtre, et autre objets transmettant des voix de migrants, qui donne et qui prend la parole ? comment se détermine une parole publique ? et une parole privée ? Qu’est-ce-qui institue la parole légitime sur les migrations ? Qu’est-ce que ces médias et ces podcasts qui reprennent des « voix de migrants » ?  Il s’agit de réfléchir à la façon de catégoriser ces « acteurs faibles », au contexte de « faiblesse » ou de « force », en sortant de l’Europe et en s’intéressant aux moments de prise de parole par les migrants.

Plus globalement, au-delà de la géographie et des « reconfigurations territoriales », il s’agirait d’adopter une approche systémique, en intégrant des éléments sur lesquels on travaille habituellement de façon séparée (le travail, la famille, l’environnement), en remettant plusieurs échelles en relation et en reliant plusieurs secteurs.  On peut parler de « territoires » ou de « local ». Il s’agirait de travailler de façon « située », ce qui renvoie à un élément dont la discussion a débuté en 2022 sur le choix de l’objet que fait le chercheur à partir de sa position et qu’il intègre dans son épistémologie. Par souci de cohérence avec ces nouvelles pistes de réflexion et l’évolution des questions étudiées, le nom du GR va être modifié afin que les situations migratoires contemporaines dont il traite n’apparaissent pas segmentées, découpées, bloquées, comme c’était le cas lors du quinquennal qui s’achève. Le travail en commun a transformé cette représentation et il s’agit désormais de définir des éléments permettant de percevoir et d’analyser les situations contemporaines comme un tout, à partir d’un point de vue situé et ancré sur des terrains, en intégrant l’idée des échelles et des acteurs dits faibles et en « resituant » les migrations.