L’anti-racisme entre science et politique : de l’Amérique latine à l’UNESCO (1920-1960)

Le Courrier de l'Unesco, 1950 et 1960

Journée d’étude, lundi 24 juin à Nice

Université Côte d’Azur, MSHS, Saint Jean d’Angély 3, Salle 128-129.
Plan d’accès

Journée d’étude organisée dans le cadre du programme URace, « Usages scientifiques, sociaux et politiques de la race (XVIe-XXIe siècles) » (coordonné par Valérie Piétri), au sein de l’UMR URMIS, Unité de recherche Migrations et Société, en collaboration avec le Laboratoire Mixte International Meso « Mobilités, gouvernance et ressources dans le bassin méso-américain »

L’UNESCO est considérée comme l’incarnation de l’anti-racisme international des années 1940-50. Étienne Balibar (2005, 20-21) l’associe à une « révolution copernicienne » qui fait passer les sciences humaines d’un point de vue objectiviste à un point de vue subjectiviste. Les différences entre les « races », « considérées comme des phénomènes objectifs dont il faut repérer les conséquences dans le champ de la politique et de la culture », sont alors abandonnées au profit des études sur le « racisme », c’est-à-dire « de la croyance subjective en une inégalité des races ». Dans la foulée de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de décembre 1948, l’UNESCO lance un programme mondial destiné à combattre le racisme, s’appuyant en particulier sur la recherche et l’éducation.

Pourtant, la politique anti-raciste de l’UNESCO est marquée par la polémique. La première déclaration sur la race, diffusée en juillet 1950, fait l’objet d’un rejet d’une partie de la communauté scientifique qui la juge trop idéologique. Des acteurs directement associés au projet UNESCO ne cachent pas leur scepticisme : le « scandale Claude Lévi-Strauss » en 1971 est en partie lié à son regard désenchanté, en germe dès les années 1950, sur les organisations internationales et leur capacité à maintenir un équilibre entre dynamiques d’homogénéisation et de différenciation à l’échelle planétaire (Stoczkowski, 2007). De son côté, Juan Comas, autre artisan du dispositif anti-raciste de l’UNESCO, affirme dès 1955 que la lutte contre le racisme n’est pas seulement une question de connaissance et d’éducation, mais renvoie à des rapports de domination économiques et politiques (Comas, 1958, 118, 127) ; au moment de recevoir le prix Malinowski pour l’ensemble de sa carrière, Juan Comas prononce un discours sur « l’anti-racisme au niveau international » dans lequel il fait le constat des « résultats faibles, si ce n’est nuls » de la lutte internationale contre la discrimination (Comas, 1978, 643).

Par ailleurs, la référence à l’UNESCO comme acte de naissance des politiques anti-racistes internationales tend à négliger la place de l’Amérique latine et de la Caraïbe dans l’émergence d’une pensée anti-raciste. Dans les années 1920-40, les États latino-américains sont en effet le seul contre poids de l’Europe et des États-Unis dans un monde non décolonisé. Ces années sont aussi marquées par des dynamiques de redéfinition des « identités nationales » latino-américaines et caribéennes, qui posent directement la question de la place de l’« autre » (indien, afroaméricain, étranger) dans la nation et interrogent la relation entre race et culture. Apparaissent ainsi les premières politiques assimilationnistes ou intégrationnistes, mais aussi des mesures de traitement différentiel en fonction de l’origine. Dans un contexte d’émergence et consolidation des institutions scientifiques et éducatives, l’anthropologie joue un rôle central, au croisement entre science et politique.

Au-delà d’une vision linéaire de la naissance de l’anti-racisme, cette journée d’étude souhaite s’intéresser aux hésitations, décalages, malentendus, échecs qui la caractérisent. L’enjeu est d’autant plus fort qu’apparait – ou réapparait – aujourd’hui la référence à la « race », aux deux extrêmes de l’échiquier politique (droite identitaire, gauche post-coloniale), qui tend à dénoncer l’illusion de l’anti-racisme symbolisé par l’UNESCO.

Nous nous intéresserons à la fois aux initiatives ayant émergé en Amérique latine et dans la Caraïbe, à la naissance des politiques anti-racistes à l’UNESCO, aux circulations entre Amérique latine/ Caraïbe et UNESCO. 

Bibliographie

  • Balibar Étienne, 2005. « La construction du racisme », Actuel Marx, vol. 38, n° 2, p. 11-28. URL : https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2005-2-page-11.htm
  • Comas Juan, 1958. “La educación ante la discriminación racial”. Suplementos del Seminario de problemas científicos y filosóficos, Universidad Nacional de México, Núm. 5, pp. 85-137 (communication préparée pour l’UNESCO en 1955).
  • Comas Juan, 1978. “El anti-racismo a nivel internacional: propósitos y realidades”, América Indígena, vol. 38, No. 3, julio-septiembre.
  • Stoczkowski Wiktor, 2007. « Racisme, antiracisme et cosmologie lévi-straussienne. Un essai d’anthropologie réflexive », L’Homme, n° 182, pp. 7-51

Organisation

Cette journée d’étude sera organisée sous forme d’atelier :

  • diffusion préalable de textes (articles publiés ou en cours)
  • présentation rapide des recherches individuelles (10 minutes par intervenant·es)
  • discussions autour de 4 axes transversaux :
    • méthodologie : combiner archives et ethnographie ; anthropologie historique ou socio-histoire ; comment travailler sur des échecs, des disparitions, des malentendus
    • politique de la race : racisme et anti-racisme, ambiguïtés de l’anti-racisme ; race et culture ; anthropologie et politique
    • micro/ macro : acteurs et institutions : trajectoires individuelles et contextualisation sociohistorique
    • du local au global et inversement ; circulation, internationalisation, réseaux ; États nations et agences internationales


9h30 – 11h30 Présentations individuelles

Ces présentations sont parfois le résultat d’un travail collectif, notamment avec Maria Rosario Diaz, Jhon Picard Byron et Nahayeilli Juarez Huet.

  • Maud Laëthier, IRD, URMIS : « Indigénisme et nationalisme culturel, prémices du ‘pouvoir noir’ en Haïti ? (1927-1946) »
  • Niurka Gonzalez, ICIC Juan Marinello : « L’engagement anti-raciste de Fernando Ortiz, 1930-1950 »
  • Emma Gobin, Université Paris 8, LAVUE : « ‘On ne comprendra pas notre peuple sans connaître le Noir’ : de la race à la culture, Cuba / Haïti (années 1940-1950) »
  • Kali Argyriadis, IRD, URMIS : « L’anti-racisme au fondement de la création de l’Instituto International de Estudios Afroamericanos (Mexico, 1943-1946) »
  • Paula Lopez Caballero, UNAM : Un ‘indigénisme diplomatique’? L’exploration en zone onchocercose (1940s), une expérience de coopération et d’expertise internationale avant le « développementalisme » de la Guerre Froide
  • Antonio Sérgio Alfredo Guimarães, Universidade de São Paulo : La démocratie raciale brésilienne revisitée
  • Elisabeth Cunin, IRD, URMIS : L’UNESCO à l’origine de l’anti-racisme ? Ethnographie historique de la question raciale (1946-1952)
  • Yvan Gastaut, Université de Nice, URMIS : UNESCO, éducation, antiracisme en France (titre provisoire)

11h30 – 12h30

Discussion : Méthodologie

12h30 – 14h00 déjeuner buffet

14h00 – 17h00

Discussion : Politique de la race ; Micro/ macro ; Local/ global

Informations : elisabeth.cunin@ird.fr